Brève histoire de l’ostréiculture, en particulier à Marennes (c)

Rédigé par Aquideas Aucun commentaire
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Partie III

Au XXe siècle, de nouvelles et importantes infrastructures vont aider Marennes à se désenclaver. Ainsi en juillet 1900, un bac fût remplacé par un pont transbordeur au-dessus du fleuve La Charente à Rochefort-sur-Mer (à une vingtaine de kilomètres de Marennes). Avec cette importante ville, on retraçât une route plus directe, car l’ancienne voie qui menait à Soubise (plus en amont de la Charente) était sinueuse et fort mal entretenue. Cette réalisation moderne améliora considérablement les relations entre les deux villes.

Pont transbordeur au-dessus de La Charente à Rochefort

Puis, des voies ferrées furent construites mettant directement en contact Rochefort, Saintes et Saujon.

Toutes ces réalisations importantes mirent réellement fin à l'enclavement de Marennes.

La ligne ferroviaire va favoriser la commercialisation des huîtres vers les grandes villes et surtout la capitale. Marennes est au centre d'un vaste bassin ostréicole dont La Tremblade, Château-d’Oléron et Bourcefranc sont les principaux lieux de production. Marennes a su cependant en tirer une grande renommée où désormais le nom de l'huître est attaché à celui de la ville.

La saliculture1 charentaise ne peut faire concurrence aux sel du Midi et sel gemme2. C'est alors que le paysage des marais change radicalement et on observe un peu partout la construction de cabanes ostréicoles, principalement en bois.

A cette époque, les huîtres deviennent indispensables sur les tables de la haute bourgeoisie et des classes sociales les plus favorisées.

En 1907, on inaugure la caserne du Commandant Lucas.

En 1908, des villages ostréicoles se regroupent pour former la nouvelle commune de Bourcefranc-le-Chapus.

Mais au lendemain de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), Marennes enregistre de lourdes pertes : la cité est une des villes les plus meurtries par cette guerre en Poitou-Charentes.

En 1920, une épizootie frappe les huîtres plates sur le bassin de Marennes-Oléron et fait disparaître tous les gisements de cette espèce. Heureusement, l’ostréiculture s’est déjà reconvertie à l’huître portugaise, dont le captage et l'élevage sont exploités. La nouvelle huître a le gros avantage de pousser beaucoup plus rapidement et être plus résistantes. Néanmoins sur les tables, les plates resteront toujours très recherchées en raison de leur saveur particulière.

Détrocage des huîtres au début du 20ème siècle sur l’île d’Oléron.

Cette même année, la seule usine appartenant à la Compagnie Saint-Gobain ferme ses portes au profit de celle de Tonnay-Charente située aux portes de Rochefort. Plus d’une centaine d’emplois sont concernés et la municipalité assiste impuissante à cette délocalisation.

Marennes va vivre une nouvelle période difficile malgré ses atouts.

En 1926, Marennes perd son statut de sous-préfecture après plus d’un siècle d’existence.

La même année, on arrête aussi définitivement le trafic fluvial sur le canal de la Charente à la Seudre suite au déclassement de cette voie d'eau.

A cette cascade de fermetures, le dépeuplement de Marennes amène la désaffection progressive des activités de la gare ferroviaire. Le service des autobus concurrence sérieusement le train et en 1934, cette situation conduit à la fermeture des voies ferrées pour les marchandises et en 1987, celle des liaisons ferroviaires pour les voyageurs.

À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Marennes a cessé d’être un centre attractif et la cité entre véritablement dans une profonde léthargie.

Durant ce nouveau conflit, la région est occupée en 1940 par la Wehrmacht3. Par crainte d'un éventuel débarquement allié, l’armée de l’envahisseur s’engage dans la construction de nombreux blockhaus4 (Mur de l’Atlantique) tout le long du littoral charentais.

A la libération, Marennes a subi beaucoup de dégâts matériels dont des maisons en son centre-ville, des ponts et des voies de communication qui nécessitent une restauration complète. Des pertes humaines sont à déplorer, cependant la ville échappe à un véritable désastre.

En 1966, on mit en service le pont d’Oléron long de 2,8 Km.

En 1967, les huîtres portugaises furent à leur tour atteintes de dégénérescence.

Cette situation nécessita leurs remplacement par une nouvelle espèce. Ainsi, on importa deux variantes de l’huître japonaise Penaeus japonicus du Japon et Canada. De par ses caractéristiques, cette huître creuse était très proche de la portugaise et l’on a pu reconstituer les parcs assez rapidement. Effectivement, la production repris, mais cette seconde épizootie entraîna aussi l’abandon de nombreux ostréiculteurs qui découragèrent un grand nombre de jeunes à prendre la relève.

En 1970, une nouvelle épizootie se déclara sur les parcs du bassin de Marennes-Oléron.

En 1971, elle entraîna 80 % de mortalité chez les jeunes huîtres. La profession était une fois de plus durement touchée.

En 1972, ce fût la mise en service du pont de la Seudre. La construction des deux ponts amena de profonds changements dans la desserte urbaine de l’agglomération de Marennes. De plus, une rocade de contournement fût réalisée pour désengorger la ville.

Après cette triste période, la cité va connaître pendant une longue décennie encore des difficultés pour se relever. Les petites industries qui animent la cité ostréicole cessent leurs activités les unes après les autres.

L’abattoir municipal5 ferme.

La ville voit également la fermeture de sa briqueterie et tuilerie6, une des dernières industries importantes, dont les activités ont cessé dans les années 1980. Cette entreprise employait jusqu’à une cinquantaine d’ouvriers.

Elle perd aussi son chantier nautique où les Constructions maritimes E. Richard qui avaient employé jusqu'à une quarantaine de personnes.

À la fin de la décennie 1970-80, les derniers résidents de la caserne Commandant-Lucas, une compagnie de CRS ayant succédé au régiment d’infanterie coloniale après la Seconde Guerre Mondiale, quittent les lieux.

Depuis 1980, les municipalités régionales se mirent à considérer également le développement du tourisme et de la culture. Mais Marennes vit largement repliée sur sa mono activité ostréicole.

En ce début du XXIe siècle, la Charente Maritime a toutefois réussi à attirer les vacanciers et se hisse maintenant au second rang des départements touristiques. L’ostréiculture attise toujours la curiosité des touristes pour la spécificité de ses parcs côtiers et claires terrestres : de nombreuses visites sont organisées.

En 2006, le musée La Cité des Huîtres, représentant tout le bassin ostréicole, est érigé le long du canal de Marennes, près du port de la Cayenne.

L’ostréiculture départementale couvre actuellement sur la zone côtière intertidale7 quelques 3.000 hectares en parcs ostréicoles et un autre 1.500 hectares en claires8 pour l’affinage des huîtres. Avec la mytiliculture, c’est une activité relativement importante pour la région.

Mais en tenant compte des risques de toutes les crises antérieures (mortalités des espèces en 1920, 1970-71 et 2007), plusieurs facteurs semblent à nouveau miner le regain d’activité professionnelle. Citons à continuation quelques-uns d’entre eux :

  • L’ostréiculture est un labeur extrêmement physique et depuis quelques années, on observe beaucoup d’abandons sur les exploitations, migrations des ouvriers ostréicoles vers des secteurs plus attractifs ;

  • Lactivité est souvent mal rémunérée par rapport à l’implication des opérateurs, en réalité le secteur primaire est à la traîne par rapport aux deux autres secteurs économiques du pays ;

  • Bien des exploitations ostréicoles expérimentent un manque de rentabilité, car ceci est causé en grosse partie par un ensemble de mesures légales imposées à la profession, impliquant des réductions de personnel ;

  • On assiste à une chute drastique des rentrées provoquée par une baisse des ventes due à plusieurs facteurs : nouvelles générations moins attirées par le produit, retenue due à la pandémie, clientèle vieillissante moins consommatrice ou encore clients déplacés par leur contrat professionnel ;

  • Depuis quelques années, on observe également une diminution du nombre d’exploitations (cessations de concessions en mer, ventes de claires, nombreux parcs côtiers abandonnés) ;

  • En ce qui concerne la vente en direct, les ostréiculteurs abandonnent de plus en plus leurs marchés éloignés, car les coûts de revient deviennent prohibitifs (prix élevés des carburants, vie chère dans les centres urbains, difficile réajustement des prix sans faire fuir la clientèle, peur de se faire contaminer par la Covid;

  • Concernant la fixation des prix en gros entre producteurs et distributeurs, ce sont toujours les seconds qui doivent avoir le dernier mot (aucune considération sur la pénibilité de la profession et les coûts réels de production).

Malgré tous ces obstacles, les statistiques montrent que le bassin Marennes-Oléron produit près de la moitié de la production ostréicole du pays. De plus, il faut admettre que les huîtres de Marennes ont acquis une réputation. Ceci est principalement dû à un environnement exceptionnel : les huîtres se développent sur une zone côtière ayant des conditions très particulières : certains « terroirs » se caractérisent par une vase qui peut se développer grâce aux particularités d’un substrat géologique unique, fort différent des autres régions côtières atlantiques. En Normandie, Bretagne, Vendée et Arcachon, les zones intertidales côtières sont plus rocheuses ou sablonneuses où les courants forts assurent la forte oxygénation des eaux. A Marennes, les exploitations ostréicoles sont en partie protégées par des îles et le substrat sur lequel s’affinent les huîtres se compose en beaucoup d’endroits d’un bri9 argileux bleu-gris atypique. Ces terrains sous l’eau de mer ont des propriétés intéressantes qui permettent notamment de produire du phytoplancton de qualité qui sera filtré par les huîtres. Cela a des répercussions sur leur chair dont les propriétés organoleptiques sont détectées et appréciées par beaucoup de consommateurs gastronomes.

Voilà, un très beau cadeau que nous a légué les professionnels de la filière des siècles antérieurs et ce que la côte en Charente Maritime nous offre toujours !

Références :

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      1 Production de sel alimentaire par cristallisation du sel présent dans l'eau de mer sous l'action du soleil.

2 Sel extrait des montagnes sous la forme de grosses roches qui sont ensuite broyées en différentes tailles selon les besoins. C’est l’halite dans le langage minier (cas des sel de l’Himalaya, sel rose ou sel de khewra).

3 Nom porté par l'armée allemande du IIIᵉ Reich à partir du 21 mai 1935.

4 Abri militaire défensif de petite taille en béton renforcé construit pour résister aux assauts des armées ennemies.

5 Décret en 1966 pénalisant l'abattage du gros bétail, retirant par là-même toute subvention aux abattoirs dont la capacité de production était inférieure à 5 000 TM.

6 Installée sur le site du Petit Port des Seynes vers 1964, elle avait fait construire de grands ateliers de production et des hangars de stockage ...aujourd'hui tous désaffectés. Pour la petite anecdote, la glaise servant à faire une partie de leurs briques provenait, entre autres, de plusieurs exploitations sur Badauge (secteur de Marennes sur lequel se trouve la ferme d’AQUIDEAS). L’échange était le suivant : nous vous construisons des claires, mais nous prenons une partie de vos terres pour faire des briques ! En effet, les propriétés physico-chimiques de ce beau terroir n’intéressent pas seulement les ostréiculteurs...

7 Aires de la mer qui se découvrent à marée basse.

8 Etangs terrestres peu profonds se situant entre la côte et une quinzaine de kilomètres à l’intérieur des terres. Cela implique que l’eau d’affinage varie entre celle marine et saumâtre (jamais en eau douce ...sinon les huîtres meurent).

9 Le bri = une argile bleuâtre déposé par la mer sur les côtes de la Charente, provenant des assauts de la mer sur de dures parois de craie.

Quelle est le premier caractère du mot z3flbq ?

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