Brève histoire de l’ostréiculture, en particulier à Marennes (b)

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Partie II

Au XVIIe siècle, les huîtres trouvent une place d'honneur sous le Roi Soleil, Louis XIV (1638-1715). Paris comptait déjà 2000 écaillers.

A cette époque, Jean de la Fontaine (1621-1695) met également deux fois l’huître à l’honneur dans ses fables :"Le rat et l’huître" (texte en annexe 1) et "L’huître et les plaideurs" (texte en annexe 2).

Face au protestantisme, on autorise la venue de divers ordres religieux (Jésuites, Récollets, Cordeliers) afin de regagner la population à la foi catholique. Ceux-ci édifient des écoles et couvents dès 1628.

La prospérité économique est retrouvée grâce à la bourgeoisie locale (protestante) qui vit dans l’opulence grâce au négoce du sel, de la marine marchande et aux administrations royales. Elle est à l’origine de la transformation urbaine de la ville avec des hôtels particuliers et autres édifices élégants.

Les bancs d’huîtres sont considérés comme inépuisables comme le montre l’ordonnance de R.J. Valin de 1681 (Grande Ordonnance de la Marine d'août 1681, aussi appelée Code de la Marine, ou simplement Ordonnance Royale de 1681, dite aussi Ordonnance de Colbert1).

Dès le début du XVIIIe siècle, Marennes expédie du sel dans toute l'Europe du Nord, comme l’Angleterre, la Hollande et les pays scandinaves. Elle est en effet un des principaux ports morutiers de la Seudre qui arment pour Terre Neuve (au Canada) et fait travailler toute une population de pécheurs dans ses sécheries et salaisons de morues.

Au milieu du siècle, François Fresneau de la Gataudière, l’illustre ingénieur et botaniste du roi Louis XV, revint de Guyane où il séjourna quinze ans et reconstruisit les fortifications de Cayenne. Il y découvrit en 1747 l’hévéa, connu aujourd’hui comme l'arbre à caoutchouc. Après en avoir trouvé les propriétés particulières et inventé son application industrielle, il sera surnommé le père du caoutchouc. De plus, Fresneau fait partie de ceux qui sont parmi les tout premiers à avoir acclimaté la pomme de terre en France, en particulier en Saintonge. Dès son retour en France, il fit construire aux portes de Marennes, de 1749 à 1755, un château au milieu d'un parc arboré s'étendant sur vingt hectares.

Le château de La Gataudière.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les réglementations s’accumulent : interdiction totale de pêche, limitation des moyens ou limitation dans le temps. Mais si ces règlements permettent d’empêcher la disparition des huîtres, ils ne permettent pas aux bancs naturels de se reconstituer durablement.

Les huîtres ramassées sur ces bancs naturels sont vendues directement ou parfois stockées dans des claires pour les affiner.

Mais l'accumulation de richesses détenues par une poignée de bourgeois et de nobliaux va créer des remous à l’approche de la Révolution Française en 1789.

En1790, on abolit la gabelle et on assiste au déclin de la culture du sel. Le succès des huîtres aboutit à l’épuisement des bancs naturels, au point que, dans les années qui suivent, de nouvelles réglementations nationales et locales tenteront également d'endiguer le phénomène. Toutefois, leur manque de cohérence et leur peu de réalisme conduiront en réalité à une aggravation de la situation.

Au début du XIXe siècle, la che à la morue est de plus en plus délaissée.

Après la chute du Premier Empire (1804-1815) et l’exil de Napoléon 1er, la perte des activités portuaires a porté un rude coup à l’économie de la cité et elle peine à redémarrer. La pêche de la morue est finalement et définitivement abandonnée. À la disparition des activités maritimes s’ajoute le déclin des salines où l’état des marais est devenu catastrophique.

En 1818, le sous-préfet Charles-Esprit Le Terme (1787- 1849) entreprend d’importants travaux d’assainissement des marais. Dès son arrivée à la sous-préfecture de Marennes, il est en effet frappé par l'état d’abandon de ces marais dans l’arrondissement. Pour remédier durablement à la situation, il rédige en 1828 un «Règlement Général» pour préserver les marais salants encore existants et transformer d’autres gâts2 en prairies.

Les années de terreur passées, la ville-port se redresse et des travaux d’urbanisme sont entrepris.

Durant le Second Empire (1852-1870, c’est-à-dire sous Napoléon III), on améliore le futur Canal de Marennes à la Seudre, ainsi que le Chenal du Lindron. Cela permet d’accepter des bateaux de plus de 80 tonneaux3.

Le député Prosper de Chasseloup-Laubat (1805-1873) poursuit l'aménagement des marais et la réalisation du Canal de Marennes. Mais, les marais salants sont en crise et une population nombreuse, qui y était employée, a été massivement licenciée et a dû quitter la ville et son canton pour trouver du travail dans d'autres villes.

Marennes est à la veille d'une profonde mutation de son économie urbaine et va connaître dans les trois décennies suivantes un essor remarquable. En effet, l’ostréiculture moderne va faire ses premiers pas et son industrie deviendra bien vite prépondérante. Les anciens marais salants sont progressivement reconvertis en claires à huîtres ...plus rentables. On introduit une nouvelle technique ostréicole qui consiste à mettre en place en mer des fixateurs de toutes petites huîtres (le naissain) au moyen de tuiles. La reconversion en claires à huîtres pour l'engraissage et l'affinage deviendra au fil du temps la spécialisation du bassin Marennes-Oléron.

Un fait providentiel s'ajouta à cette activité novatrice et exigeante en main d'œuvre comme en labeur : les nouveaux ostréiculteurs adoptèrent les nouvelles techniques en raison de la croissance rapide l'huître plate Ostrea edulis. Celle-ci était rustique, donc résistante, et très savoureuse.

Toutefois, l'essor réel de l’ostréiculture moderne ne sera effectif qu'à partir du début de la Troisième République (1870-1940) laquelle verra l’huître de Marennes (la portugaise, nous le verrons plus loin) triompher dans la haute gastronomie.

Marennes devient à partir de ce moment le centre d’un vaste bassin « ostréicole » réparti sur les deux rives de l’estuaire de la Seudre, ainsi que le long de la côte sud-est de l’île d’Oléron. Les huîtres s’invitent de plus en plus sur les bonnes tables et sont particulièrement appréciées par tout un pan de la société.

Dés 1852, le gouvernement soumet la récolte des huîtres à l'octroi d'une concession sur le domaine public maritime, dont l'attribution doit être approuvée par les services de l'administration maritime. En d'autres termes, le récoltant peut utiliser l'espace maritime, mais il n’en devient pas propriétaire.

En 1854 à la requête de Napoléon III, le français Victor Coste se rendit en visite au lac de Fusaro sur la commune de Naples (en Italie) pour y étudier le captage et l’élevage de naissain. Là il observa les fagots collecteurs de petites huîtres plates. A son retour en France, il monta quelques essais et toutes ces observations furent minutieusement rapportées, puis publiées en 1855. Il y décrit notamment divers façons de recueillir le naissain des huîtres.

Puis, on expérimenta les premiers parcs d’élevage à Arcachon et dans la baie de Saint Brieuc en Bretagne. En s’inspirant des anciennes techniques romaines, la culture des huîtres se propageât sur la côte atlantique.

Un an auparavant, Ferdinand de Bon, chef de service de la marine en Bretagne, faisait déjà figure de précurseur lorsqu’il tenta de repeupler les bancs de Saint-Servan, près de Saint-Malo. Il fit poser un plancher à 15 cm du sol constitué d’éléments séparés, destiné à permettre la fixation des petites huîtres. Ce projet fût une avancée sur son temps (croquis d’installation ci-après). Son travail fût reconnu par Coste qui l’intégrât à ses publications.

Plancher collecteur pour recueillir le naissain d’huître plate.

Les années suivantes, Victor Coste va beaucoup s’impliquer dans le développement de ce qui sera appelé plus tard l’ostréiculture. Pour lui, il est urgent de repeupler les bancs naturels généralement dévastés par les dragues4. Il finira par convaincre l’empereur qui lui donnera d’importants moyens. En 1858, il délimite de nouveaux bancs artificiels, encore vierges d’huîtres, qu’il recouvre de coquilles sèches et qu’il complète par des fagots de branchage mis en suspension dans l’eau et destinés à la récolte du naissain. Les huîtres viennent de Cancale et de Tréguier en Bretagne. L’expérience réussit : six mois plus tard des quantités impressionnantes de petites huîtres sont observées sur les fagots.

En 1864, on monte une industrie chimique à Marennes pour y fabriquer des produits dérivés du sel marin dans le but de venir en aide aux sauniers de la vallée de la Seudre. C’est le cas de la soude5 qui entre dans la composition du savon. Elle devait être opérationnelle dès 1867, mais elle est très vite intégrée pour la production d'engrais phosphatés, car l’usine est absorbée et agrandie par la société lyonnaise Perret et Olivier qui sera intégrée plus tard à la Compagnie Saint-Gobain.

Vers 1865, le maçon arcachonnais Michelet inventa la technique dite du "chaulage" qui consiste à enduire des tuiles, placées sur des lieux collecteurs de naissain, au moyen d’un mélange de chaux et de sable. L'ostréiculteur pouvait ainsi décrocher plus facilement les jeunes huîtres qui s'y étaient fixées sans risquer de les abîmer6.

Le développement de la production ostréicole est lancé sous les efforts redoublés de Coste et de nombreux pêcheurs locaux. Les techniques s’affinent et les demandes de concession se multiplient. En 1860, on dénombre 2000 parcs sur l’île de Ré ainsi que 112 concessionnaires pour 400 Ha à Arcachon.

Les claires, anciens marais salants, possèdent un environnement très riche en nutriments. Cela permet un important développement du phytoplancton qui est la nourriture naturelle de l’huître. On y pratique maintenant un affinage de type long. Les huîtres séjournaient pas moins de 6 à 10 mois7 en claires afin d’obtenir une chair ferme, croquante et ayant une saveur de terroir.

Lors d’une tempête en 1868, un bateau venant du Portugal se dirigeant vers l’Angleterre, le Morlaisien, jette sa cargaison d'huîtres creuses avariées dans l’estuaire de la Gironde où il va s’abriter. On pensait qu’elles avaient été perdues, mais elles se mirent à proliférer sur les côtes charentaises, notamment dans l'estuaire de la Seudre et sur la rive méridionale de l'île d'Oléron.

L'huître creuse Crassostrea gigas.

L’ostréiculture devient finalement une source de revenu pour les populations côtières : l’industrie naissante s’est d’abord construite sur l’huître « portugaise ». Elle gagna en premier lieu le bassin d’Arcachon, puis remonta jusqu’en Vendée, mais elle s’arrêta aux portes de la Bretagne. On assiste alors au passage d’une ressource en voie de disparition (l’huître plate), presque inévitable, à une exploitation raisonnée (avec l’huître portugaise) et surtout durable sur le long terme.

Toutes ces adaptations finirent par faire entrer en 1877 le terme « ostréiculture » dans le dictionnaire de Littré.

Grâce à l’arrivée et au développement du Chemin de fer à Marennes à partir de 1889, la livraison des huîtres sera possible partout, ce qui accroîtra encore plus la pénurie.

Pendant la Troisième République (1870-1940), Marennes connaît un véritable âge d'or. En effet, la région autour de cette ville isolée deviendra un carrefour de voies de communications ferroviaires, puis routières.

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Annexe 1 : Fable de Jean de La Fontaine8 - « Le rat et l’huître » (1678)

Annexe 2 : Fable de Jean de La Fontaine - « l’huître et les plaideurs » (1679)

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1 Définit entre autres le domaine public maritime, le juriste René-Josué Valin (1695-1765) ayant publié en 1760, en collaboration avec Balthasar-Marie Érigéron, des commentaires qui ont fait autorité jusqu'au XIXe siècle.

2 Marais salants abandonnés ou en cours de transformation en prairie.

3 La jauge brute (gross tonnage en anglais) est une des méthodes de mesure de la capacité de transport d'un navire. Cette mesure s'exprime en tonneaux de jauge brute, tonneaux ou en mètres cubes. Un tonneau de jauge brute vaut environ 2,832 m3.

4 Engins mobiles, fait d'un filet armé ou de métal, destinés à racler le fond de l’eau (mer, rivière) pour en rapporter des éléments vivants ou minéraux.

5 Réaction caractéristique de l'électrolyse de l'eau salée : 2 NaCl(aq.) + 2 H2O → 2 NaOH(aq.)+ Cl2(gaz) + H2(gaz) , l’hydroxyde de sodium (NaOH) étant une base très forte entrant dans la composition notamment des savons.

6 Cette pratique est encore d’actualité sur le bassin d’Arcachon.

7 De nos jours, on a diversifié l’affinage : on produit des « Fines de Claire » (3 semaines d’affinage), des « Spéciales de Claire » (2 mois), et des « Pousses en Claire » (au moins 4 mois), avec une densité d’huîtres plus faible pour un temps plus long en claires.

8 1621-1695.

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