Les huîtres vertes

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Vous connaissez sûrement les huîtres vertes de Marennes, mais savez-vous exactement pourquoi nos huîtres peuvent verdir durant certaines périodes de l’année ?

Les huîtres vertes sont à l’heure actuelle presque exclusivement consommées en France, mais leur production et leur consommation commencent à se développer en Australie et aux États-Unis.

Cela est dû à une algue unicellulaire très curieuse qui secrète un pigment végétal vert-bleuâtre, donnant à l'huître qui l'ab­sorbe cette même belle coloration recherchée par certains consommateurs.

Toutefois, les facteurs naturels et humains provoquant la fluctuation imprévisible de l’apparition de la cause-même du verdissement des huîtres n’ont jamais pu à ce jour être clairement déterminés. Vous prenez deux claires1 adjacentes, l’une verdit et l’autre pas. Pourquoi ? Lorsqu’on transfère un peu d’eau verte d’une claire intensément verte à une autre qui ne l’est pas, l’opération ne porte pas ses fruits (c’est-à-dire verdir à son tour). Pourquoi ? Quelle est la cause du fait que certaines claires peuvent être propices au verdissement et pas d’autres ? Enfin, quelle est la raison pour laquelle une claire qui n’a jamais verdit commence tout d’un coup à verdir ?

Des brides de réponses ont été proposés depuis bien des années ...sans jamais établir un mode d’emploi afin de provoquer avec anticipation, un verdissement ciblé qui verdirait les huîtres en claires. En réalité, une claire ne ressemble jamais exactement à une autre d’un point de vue physico-chimique. En 1911-12, 1920 et 1935, des huîtres ont même verdi sur certains parcs côtiers (donc, en mer, mais situés dans des baies tranquilles) ...au plus grand bonheur des ostréiculteurs-commerçants.

Pourtant, les scientifiques n’ont jamais trouvé le processus précis afin d’obtenir le verdissement des huîtres en milieu naturel. Cela reste toujours un mystère.

Durant longtemps, on a crû que le verdissement particulier des huîtres était dû à un agent pathologique affectant ces bivalves, donc provenant d’une source animale. En 1669, l’anglais Sprat t l’un des premiers à se pencher sur la question. Mais c’est en 1820 que le botaniste français, spécialisé en plantes marines, Benjamin Gaillon identifia pour la première fois l’agent responsable du phénomène classé en 1823 par Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent. En 1886, le zoologiste britannique Ray Lankester appela « marennine » le pigment bleu-vert retenu par les huîtres et attesta qu’il était bien secrété par des diatomées du monde végétal.

Visuellement, ces cellules d’algue particulière ont la forme d’un fuseau composé de deux petits corps semblables à deux boudins brunâtres. Ce sont les endochromes. Le centre du fuseau est transparent et contient le noyau. Le protoplasme, normalement incolore, des deux extrémités est bleu azur foncé et les vacuoles sont incolores. Mis à part les Cyanophycées, cela semblait un cas unique dans le règne végé­tal. Aujourd’hui, nous savons2 que d’autres diatomées, comme Haslea karadagensis (Naviculaceae), H. silbo, et H. provincialis, peuvent aussi induire le verdissement des huîtres, même si leur pigment bleu-vert-gris responsable montre des caractéristiques spectrales différentes de celui de de la marennine.

La navicule que nous connaissons naturellement dans nos eaux charentaises est connue sous le nom de Haslea ostrearia3 [anciennement, Navicula ostrearia (Bory)] ou encore navicule bleue. Animée de mouvements longitudinaux, cette navicule se déplace en direction des zones lumineuses. Ce phototropisme accentué permet de l’isoler des autres diatomées beaucoup plus lentes à réagir. Ses cellules ont une longueur qui varie entre 62-130µ (micron)4 sur une largeur de 5-12µ.

La navicule bleue

(Source-crédit : Marennine, promising blue pigments from a widespread Haslea diatom species complex,

Gastineau R. et al., Marine Drugs, 2014)

Parmi les diatomées marines, certaines vivent constamment fixées sur les fonds côtiers et sont dites benthiques. D’autres flottent dans l'eau, entraînées par les courants, et sont planctoniques. Notre Navicule peut vivre suivant l'un ou l'autre mode.

Venant du littoral où elles vivent à l’état planctonique, les navicules pénètrent périodiquement dans les claires au gré des marées. Si ce milieu réunit les conditions requises, les navicules se posent sur le sol (état benthique), se multiplient, se colorent et excrètent la marennine que les branchies de l’huître fixent électivement. Mais les mécanismes par lesquels la marennine se fixe aux branchies sont encore aujourd’hui mal connus. Elle se fixe principalement dans les mucocytes qui sont des cellules produisant et excrétant du mucus.

Le verdissement des branchies induit par la marennine n’est pas exclusif aux huîtres. D’autres organismes tels que la moule, le pétoncle, la coque ou la palourde présentent également un verdissement des branchies suite à une exposition au pigment.

Verdissement sur les bivalves : (a) L’huître du Pacifique ; (b) la coquille Saint-Jacques ; (c) La coque; (d) La palourde.

(Source-crédit : Gastineau R. et al., Marine Drugs, 2014)

De plus, on a montré qu’il y avait un lien direct entre la teneur moyenne de phosphore provenant des phosphates en claires et le pourcentage moyen de navicules pigmentées. Par contre, rien ne peut être affirmé sur l’influence de la température, la salinité, le pH et l’oxygénation des eaux. Mais en ce qui concerne certains facteurs météorologiques, une insolation exagérée (en été) inverse proportionnellement la production de marennine au profit d’autres phytoplanctons qui se développent dans les claires. La marennine apparaît généralement en automne où le phytoplancton commence à se raréfier.

D’un point de vue microbiologique, certains chercheurs comme Ph. Daste et D. Neuville ont déjà réussi à maintenir la navicule en culture indéfinie. Mais en ce qui concerne la marennine, il semblerait que sa sécrétion par la navicule résulterait d’un déséquilibre entre la composition en sels minéraux de l’eau dans laquelle elle se trouve et l’intensité lumineuse à laquelle elle est soumise. C’est à ce niveau que réside tout le mystère : comment déterminer le bon compromis entre les différentes variantes - qui sont nombreuses et parfois inconnues - jouant un rôle important dans le déclenchement et l’entretien d’une concentration adéquate de marennine en claires pour être à même de verdir les huîtres !?

L'huître, pour respirer et se nourrir, provoque un courant d'eau continu et rapide entre ses valves. Elle détermine ainsi la filtration d'une grande quantité d'eau. Toutes les substances en suspension dans l'eau, viennent au contact des branchies qui sécrètent un mucus les enrobant. Elles pénétreraient dans le tube digestif. Les matières solides argileuses précipitées sont agglomérées avec le mucus, puis cet ensemble est violemment rejeté à l'extérieur par des contractions musculaires. Plus les eaux sont chargées d'argile, plus la quantité de mucus rejeté est considérable. Tous les Mollusques, et bien d'autres Inver­tébrés aquatiques, agissent de même. En fait, les êtres vivants aquatiques, animaux et végétaux, sont indispensables à la fixation des argiles des lais5 de mer. Ces argiles sont donc des complexes de minéraux et de matière organique en forte proportion.

Les Ostréiculteurs marennais atten­dent ainsi chaque année, à la fin du mois d'août, c’est-à-dire au début de la saison ostréicole, la réalisation des con­ditions naturelles faisant apparaître la cause de la pigmentation verte de leurs huîtres. Les huîtres se pigmentent ainsi lorsque le fond, sur lequel elles sont déposées, se recouvre d'un tapis vert bleuâtre extrê­mement fin et délicat. Au microscope, cet environnement est cons­tituée par un mucilage transparent dans lequel se déplacent des petits fuseaux rigides.

On a noté ensuite qu'il suffisait de cultiver des huîtres en certains endroits où l'on n'avait jamais vu de navicules, pour les y voir apparaître, comme dans les régions classiques. Élargissant enfin la sphère des observations, on a constaté, partout dans le monde, la présence, à certains moments, de la navicule bleue sur les fonds où l'on cultive des huîtres, comme en Amérique du Nord et l’Angleterre, au Danemark et Japon. De toute évidence, la présence de ces der­nières dans les régions propices à leur culture, provoque le développement, sur le sol, de la navicule avec sa pigmen­tation bleue caractéristique.

Mais, ces diatomées peuvent retourner à leur état plancto­nique et reprendre leurs caractères pri­mitifs, dès que ces conditions sont sup­primées.

Les diatomées sont d'autant plus intimement adhé­rentes au sol que ce dernier sera moins meuble. Les fonds sablonneux et vaseux ou marneux sont moins favorables que les fonds d'argile grasse, car les courants parfois violents ne les y laissent jamais subsister. A Marennes, les argiles grasses do­minent, même si certains sols sont parfois limoneux. Ces argiles sont riches en mucus d'huîtres; les côtes sont assez bien préservées des violents courants et tempêtes. En hiver, l'eau douce apportée par les rivières et les sources est en bonne proportion.

Ainsi, la marennine apparaît lors de réactions avec des phosphatides6 (graisses phosphorées) s’accompagnant d’un pigment caroténoïde. Bleue à l’intérieur de la diatomée, elle acquière une couleur vert bleuâtre de grande intensité une fois hors de l' algue, la réaction de l'eau étant légèrement différente de celle du milieu intérieur de la diatomée. La matière pigmentée excrétée est soluble dans l'eau et les huîtres vivant sur les mêmes fonds se trouvent non seulement en présence de diatomées qu'elles absorbent normalement (comme toute autre particule alimentaire), mais elles baignent égale­ment dans une véritable solution de matière organique pigmentée. Sur Badauge (où est située la ferme AQUIDEAS, les argiles bleues doivent leur couleur à la présence de sulfure de fer, finement divisé, en combinaison organique le mettant à l'abri de l'oxydation.

En 1877, la Correspondance Scientifique écrivait que l’on pouvait entrevoir des solutions industrielles pour assurer l’acquisition de teintes pour le verdissement des huîtres. Mais comme disent certains ostréiculteurs responsables, en voulant percer le secret de la mystérieuse navicule bleue, cela représente bien sûr un énorme potentiel pour faire verdir les huîtres à volonté et en toute saison. Toutefois, l’huître ne perdrait-elle pas aux yeux des consommateurs son caractère « naturel » en faisant produire de la marennine industriellement ? Et à quel coût ?

De plus, la spécificité des huîtres de Marennes-Oléron disparaîtrait, car sur n’importe quel terrain on pourrait ainsi provoquer un tel verdissement. Finalement, ce ne serait plus question que de l’aspect économique7 qui primerait ...comme dans bien d’autres secteurs !

Il faut savoir qu’en Charente Maritime un label rouge d’« huîtres fines de claires vertes » se vend en moyenne 20 à 30 % plus cher que des huîtres affinées non verdies. Ce prix de vente plus élevé s’explique principalement par la rareté du produit, les blooms de H. ostrearia dans les claires étant un phénomène essentiellement erratique.

Ce qui est important pour vous est de vous concentrer sur les saveurs-mêmes perceptibles, car ce n’est pas la viridité8 qui vous les donnera. Elles seront bien réelles et prononcées si les huîtres auront passé un certain temps en claires, parfois établies sur un terroir bien particulier. Le terrain sur lequel les claires sont creusées9 a une importance capitale ...C’est un peu comme les bons vins.

Par conséquent, les huîtres ont un goût spécial principalement dû à ce que leurs confèrent les argiles calcaires grasses et ferrugineuses des sols sur lesquels elles croissent. Et ces différentes saveurs ont aussi à voir avec l'absorption, par l'animal, des sels de fer colloïdaux du sol. Enfin dans certaines con­ditions très spéciales de salinité, ces derniers sont absorbés plus activement et colorent assez fortement les branchies des Huîtres.

De toute manière, nous constatons depuis près d’un siècle et demi qu’on est encore loin de dominer la relation qu’il y a entre cause et effet dans ce très complexe processus pour l’obtention d’huîtres vertes.

En résumé :

Conditions favorables pour l’apparition de la navicule : inconnues ;

Multiplication de cette navicule : connue ;

Conditions favorables pour l’apparition de la marennine : partiellement connues ;

Acquisition de marennine par la navicule : partiellement connues ;

Ingestion de navicules teintées par les huîtres : connue.

Laissons faire la nature, elle est peut-être plus lente (dans bien des cas, ceci est bien relatif), mais elle fait bien les choses, quand cela lui convient (ces moments doivent être appréciés) et surtout sans occasionner de déséquilibres autour d’elle (ce qui est encore plus important sur le long terme).

Références :

  • Greening effect on oysters and biological activities of the blue pigments produced by the diatom Haslea karadagensis (Naviculaceae), R. Gastineau et al., Aquaculture, vol.368-369, pp.61-67, 2012.

  • L'huître et la navicule bleue, Gilbert Ranson, Revue d’Ecologie, Terre et Vie, Société nationale de protection de la nature, 1937.

  • Marennine promising blue pigments from a widespread Haslea diatom species complex, R. Gastineau, Marine Drugs, 12(6):3161-3189, 2014.

  • https://123dok.net/

  • https://www.documentation.eauetbiodiversite.fr

  • https://www.femmeactuelle.fr

  • Saintonge pays des huîtres vertes, Michel Grelon, Editions Rupella, 1978.

  • World register of marine species, Haslea, R. Simonsen, 1974 (https://marinespecies.org)

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1 Etangs peu profonds dans lesquels on affine des huîtres.

2 En 2012, les universités françaises du Maine (Le Mans), de Nantes, Européenne de Bretagne (LBCM)/de Bretagne-Sud (CRYC, Lorient), l’Académie Nationale des Sciences (Réserve Naturelle de Karadag d’Ukraine) et l’Université de Plymouth (Sciences Biologiques) du Royaume-Uni ont démontré qu’une seconde diatomée agissait de la même façon. En 2014, d’autres études scientifiques menées par 26 scientifiques, appartenant à 10 institutions de recherche dans 5 pays, ont confirmé le même potentiel avec d’autres diatomées. Cette grande recherche internationale aboutit à des conclusions qui attestaient également à la non-toxicité du pigment marennine ingéré par les huîtres, car c’était non seulement un puissant antioxydant mais qu’en plus il possédait des propriétés antibactériennes et antivirales.

3 Simonsen, 1974.

4 Millième de millimètre ou 10-6 mètre.

5 Parties des marais toujours hors de l’eau, sauf lors des hautes/grandes marées. La formation de ces « lais » est due aux alluvions apportées par les fleuves et l'opposition de la marée à son extension dans la mer. Cette situation favorise le développement des algues et microalgues, comme les diatomées, qui favorisent la sédimentation et la stabilisation des sols marécageux.

6 Une véritable lécithine végétale composée de corps d'ordinaire insolubles dans l'eau mais capables de s' émulsionner facilement et de donner une émulsion durable (d'ail­leurs l'eau de mer dans la nature, avec son alcalinité et son oxygénation parti­culières, présente les conditions requises pour la réalisation d'une telle émulsion, voire même d'une véritable solution).

7 L'innovation repose sur un procédé d’obtention d’une solution aqueuse enrichie en pigment bleu comprenant notamment une étape de précipitation du pigment bleu à l’hydroxyde de sodium, une étape de séparation de la phase précipitée de la phase aqueuse, une étape de solubilisation de la phase précipitée et une étape de dialyse. Cette nouvelle méthode est à la fois simple et efficace. Elle permet d'envisager des applications industrielles telles que l'utilisation de ce pigment bleu naturel dans des formulations cosmétiques et alimentaires.

8 La viridité = état ou qualité de ce qui est vert.

9 D’où l’importance de la prospection AVANT de s’engager dans l’affinage proprement dit (on l’oublie trop souvent).

Quelle est le cinquième caractère du mot h2z38w ?

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