L'affinage d'huîtres ...c'est quoi au juste ?

Rédigé par Aquideas 1 commentaire
Classé dans : Huître Mots clés : affinage, pousse en claire

- C'est les mettre dans des bassins

- Oui ! Mais encore ?

- En eau douce ?

- Oulala...

...Ce sont des mollusques qui ne peuvent réagir comme l'anguille ou le saumon qui, à un moment de leur vie, changent de milieu avec une faculté d'adaptation incroyable (de la rivière à l'océan pour la première, en sens inverse pour le second).

Néanmoins, on peut faire dans une certaine mesure la comparaison avec d'autres beaux produits de terroir que l'on affine, comme c'est le cas de plusieurs fromages et vins délicats.

Pourtant beaucoup savent parfaitement reconnaître des huîtres charnues et bien goûteuses !

En voici leur secret.

    Après avoir mis des huîtres en poches sur des tables en fer "en mer" pendant 2-3 années (parcs ostréicoles), quelques professionnels de la filière obtiennent de très belles huîtres sur leurs marais côtiers, car elles prennent une saveur particulière liée aux caractéristiques du terroir sur lequel elles séjournent.

Le temps d'affinage a bien-entendu son importance. Ainsi, d'anciennes salines (extraction de sel) ou de vieilles fosses à poissons continentales (car il y en existe aussi "en mer" le long de la côte) sont alors transformées en "claires". Il s'agit de bassins fermés, peu profonds généralement de surface modeste.

 

Au siècle dernier, ces claires étaient creusées à la main, un travail laborieux au moyen d'une "ferrée", sorte de bêche étroite et profonde, légèrement incurvée, pouvant aussi servir à l'entretien des claires. Ces ouvrages étaient contrôlés par un "aboteau" (petite levée de terre séparant deux claires) et une "dérase" (créneau aménagé dans l’aboteau) ... qui permettait à l'eau de mer de remplir le bassin et maintenir une hauteur d’eau de 60-80 cm.

Lors des marées, l'eau pouvait ainsi se renouveler pour que les huîtres puissent se développer à l'abri des forts courants et sans être trop dérangées par les prédateurs.

 

De nos jours, l'homme a été remplacé par une pelleteuse qui accélère considérablement le creusement de ces bassins. De plus, l’accès de l’eau de mer se fait maintenant souvent par une canalisation de grand diamètre et en matériaux modernes (comme le PVC) dont la partie verticale sert à contrôler le niveau de l'eau à l’intérieur des bassins.

 

    En ce qui concerne la technique de l’affinage, mon but dans le présent article, n'est pas de rentrer dans les transformations physiologiques et analyses morphologiques évolutives des huîtres mises en claires. Je laisse plutôt ce soin aux techniciens du service conchylicole et vétérinaire pour décortiquer les particularités anatomiques et le taux de remplissage de chair correspondant à chaque étape de développement.

Mais l'observation personnelle m'a amené à vulgariser la technique pour les non-initiés. En voici ma conclusion :

    Une huître qui vient directement des parcs "en mer" est généralement plus agressive au palais, en d'autres termes, plus mordante ou plus piquante (selon les dires). C'est principalement l'iode qui stimule notre perception sensorielle et c'est en général ce que l'amateur recherche ! Il y en a ainsi d'excellentes tout le long de nos côtes (productions importantes en bordure de  l'Atlantique - Normandie, Bretagne, Vendée, Charente Maritime et bassin d’Arcachon - et dans l’étang de Thau en Méditerranée). Il y a évidemment des saisons plus propices et des spécificités régionales, mais cela représente tout de même 90% de la commercialisation des huîtres dans notre pays. C'est une saveur qu'on sait respecter !

    Lorsqu'on initie l'affinage, on met des huîtres de "pleine mer" (grandies dans l'ocean ou la mer) dans des claires à une certaine densité, pendant un minimum de 3 semaines: l'iode a tendance à se réduire et l'huître devient alors moins "agressive" dans la bouche. On obtient ainsi une "fine de claire". En présentation, elle n'est pas fort différente de la pleine mer si ce n'est que son goût est plus "doux".

    Lorsqu'on pousse l'affinage à deux mois, l'huître a le temps de s'alimenter tranquillement. La chair grossit vite et remplit peu à peu tout l'espace entre ses deux valves, mais la chair reste toujours transparente. Nous avons alors affaire à une "spéciale de claire".

    Il arrive que parfois, certaines huîtres deviennent "vertes" : c’est la "navicule" (une diatomée ou micro-algue) qui est responsable de cette coloration interne. La navicule apparaît ainsi dans certaines claires, la plupart du temps de façon imprévisible, mais plus particulièrement en automne.

Lorsqu’elle apparaît dans l’eau, des affineurs en profitent pour faire tremper leurs huîtres dans ces bassins qui la contiennent pendant quelques jours. Car sur le marché, ces huîtres ont la cote et bénéficient donc d'une plus-value.

Visuellement, elle est beaucoup plus « jolie » ! Pourtant, ce phénomène n’est pas toujours intéressant.

En effet, lorsqu’une huître reste trop longtemps dans une eau chargée en navicule, cette dernière vient se déposer inexorablement sur les branchies (qui deviennent ainsi vertes), car ses cellules sont si grosses qu’elles ne peuvent être digérées comme d’autres types de micro-algue.

Le côté beaucoup moins intéressant est que par l’obstruction de ces organes, l’huître ne parvient plus aussi facilement à filtrer, car ces branchies sont vitales non seulement pour s'alimenter, mais aussi assurer son oxygènation. Donc, si l’affinage se poursuit et que la densité de navicule ne diminue pas, l’huître pourrait en être grandement affectée. La texture de sa chair devient carrément « visqueuse » (alors qu’on s’évertue d’atteindre des qualités gustatives intéressantes), l’huître change de goût (pas toujours agréable) et peut même ...mourir !

    Si l'affinage se poursuit dans un environnement favorable, l'huître se conditionne pour affronter les températures moins clémentes de  l'hiver, car le phytoplancton (aliment essentiel pour ces grands filtreurs) commence à se raréfier. En réaction, elle forme donc une réserve que l'on appelle le "glycogène" (comme on en trouve chez les animaux terrestres et dans notre foie).

Ce glycogène - qui est une macromolécule glucidique (un glucide complexe du glucose (sucre de réserve)) - servira à l'huître pour puiser son énergie afin d'assurer ses fonctions vitales en période hivernale. Cette substance est de couleur blanchâtre, a une saveur de noisette et présente une texture "croquante". C'est ce que l'on recherche !

- Cette consistance se différencie nettement de l'aspect plus aqueux caracteristique de la "laitance" produite lors de la reproduction (juin-juillet à Marennes) et de la composition plus molle de l'huître "triploïde" (produite en écloserie) qui ne peut plus se reproduire et n'arrête pas de grossir. -

 

Ainsi, après 4 mois d'affinage, cette caractéristique gustative donne aux huîtres l’appellation de "pousse en claire". En général, cela est atteint vers les mois de novembre-décembre, tout dépend des conditions météorologiques : plus tôt si l'hiver est précose, plus tard si ce dernier tarde à venir.

 

    Au siècle dernier, les affineurs mettaient une partie de leurs huîtres dès la fin de l'hiver (vers le début de l'année) et ne les sortaient que bien après les grandes chaleurs de l'été, principalement au moment des fêtes de fin d'année. Ils laissaient donc leurs huîtres (sans les déranger) de longs mois dans leurs claires ! Et leurs  huîtres étaient fort appréciées pour les qualités indéniables qu'elles avaient acquises. Cela faisait évidemment la fierté de ces ostréiculteurs-affineurs !

Il est vrai, qu'au siècle dernier , les saisons étaient très contrastées entre des étés très chauds et des hivers assez durs. De nos jours, les saisons sont plus tempérées, avec de nombreuses perturbations: coups de chauffe et baisses drastiques de température sur une même saison ...N'ayant plus ces grands changements saisonniers progressifs. Cela influence également le comportement des huîtres !

 

    Ainsi, pour donner plus de chance à ces mollusques d'atteindre une texture intéressante, nous ne mettons pas plus de 2 huîtres au mètre carré de façon à ce qu'elles puissent manger à "satiété" (comme il y a peu d'huîtres, il n'y a aucune compétition pour l'obtention d'aliment naturel dans nos étangs). Nous réutilisons aussi certaines techniques d'antan qui donnaient des résultats indéniables.

    Citons entre autres le "rouablage", une technique pour fertiliser naturellement l'eau et qui consiste à retourner au moyen d'une "rabale" (1) la vase du fond de la claire lorsqu'elle vient d'être drainée (en l’absence d'animaux).

rouablage

Rouablage traditionnel avec la rabale

 rouablage tracteur

Rouablage moderne avec chaîne et tracteur(s)

rouablage fini

 Résultat du chaînage

    Par cette méthode, on oxygène la vase pour qu'elle puisse s'oxyder au contact de l'air. Ensuite, on laisse sécher le fond de la claire jusqu'à ce que cette vase « craquelle » ... Ce qui est très beau à observer. C'est ce qu'on appelle le  "grâlage" (2).

gralage de la vase

Grâlage dans le fond des claires

    Les minéraux du sous-sol sont alors attirés vers le haut et la vase s’enrichit permettant, par la suite, à l'eau de mer de former rapidement du phytoplancton de qualité ...qui bénéficiera aux huîtres et jeunes crevettes (larves gambas) qui en ont également besoin pour former leur pigmentation.

    L' "éparage" est une autre technique ancienne utilisée sur notre ferme. Il s'agit d'un lancé de "garnitures" (petites huîtres de stockage/ensemencement) caractérisé par l'usage d'une "commode" (sorte de luge-récipient en bois ou fibre de verre) et d'une pelle légère en aluminium pour distribuer les petites huîtres à la volée en répartition homogène dans l'étang (claire).


Eparage avec la commode et une pelle en aluminium

  -  Grâce à ce choix de production qui respecte le milieu environnant aquatique, nos gambas doivent chercher dans les étangs les petits vers de vase (de couleur rouge foncé) qui sont une source importante pour leurs besoins en protéines.

Ici aussi, il n’y a pas plus de 2 animaux au mètre carré ! De cette façon, elles remuent le terroir et remettent en solution dans l’eau une partie du substrat ...qui sera à son tour filtré par les huîtres se trouvant dans la même pièce d'eau. Cette belle association huîtres-gambas prend donc tout son sens lorsqu'on ne pollue pas les eaux (provenant notamment de la distribution de "granulés industriels", aliment artificiel pour engraisser les gambas) !-

 

    Mais revenons à notre très long affinage.

Nous avons constaté que par le remue-ménage des gambas, les huîtres - en plus de toutes les caractéristiques ci-dessus énoncées- avaient acquis par dessus tout une "saveur de terroir" bien marquée ! C'est cette particularité qu' AQUIDEAS vise dans sa démarche qualitative. C'est aussi cette finalité que certains gastronomes recherchent ...pour le plus grand plaisir de vos papilles !

Chez AQUIDEAS, c'est ce que nous appelons une huître affinée "à l'ancienne".

    Enfin, des huîtres qui passent autant de temps dans le fond des étangs prennent forcément une couleur externe plus obscure (sombre/brun foncé ; les huîtres de pleine mer sont généralement plus claires, car elles subissent une sorte de « limage » par le sable et le courant fort des marées). De plus, elles présentent fréquemment une belle croissance de coquille sur leur pourtour qu'on appelle "pousse" ou "dentelles" (d'où l’appellation "pousse en claire").

 

    Un détail pouvant avoir son importance : La proximité de la mer d'où l'on affine ses huîtres.

La ferme d'AQUIDEAS se trouve à 1 Km à vol d'oiseau de la côte et ses eaux proviennent du premier chenal alimenté par l'estuaire de la Seudre. Si vous vous trouvez près de l'océan (comme c'est notre cas), on subit le jeu des marées deux fois par jour.

Par conséquent, l’eau de mer (bien salée) monte et descend dans nos étangs. Les coefficients de marnage (3) ont bien sûr leur rôle à jouer : lorsqu’ils sont bas, l’eau cesse de rentrer dans les bassins ; quand ils sont hauts, le renouvellement de l’eau est à son maximum. Par contre, si vous vous trouvez à 15 km à l'intérieur des terres, les effluents d'eau douce atténuent la concentration en sel de l'eau de mer et l'on se trouve en présence d'une eau plus "saumâtre", c’est-à-dire un mélange d'eaux douce et salée.

Par conséquent, il y a certains paramètres dans l'eau qui varie selon la position géographique où l’on pratique l'affinage. C'est la raison pour laquelle il est intéressant de demander à votre ostréiculteur où exactement il affine ses huîtres... Cela vous donnera une meilleure idée sur les qualités attendues !

    Mais d'autres facteurs peuvent également influencer la saveur des huîtres : c'est notamment le cas d'un manque de pluviosité ...qui va favoriser un goût plus salé (évaporation de l'étang impliquant une concentration en sel) ou des précipitations excessives qui vont inverser cette tendance, avec souvent des stratifications peu souhaitables dans l'eau des claires ...jusqu'à provoquer de la mortalité dans les cas extrêmes !

Je ne connais qu'un seul endroit où l’on produit des huîtres d'eau "douce" : dans une rivière au sud de Londres en Angleterre où des huîtres se sont adaptées depuis bien longtemps à ces conditions très particulières. De nos jours, elles sont encore exploitées et, selon certains, elles renfermeraient de temps en temps une petite perle claire brunâtre...

    Enfin, quelques visiteurs nous demandent parfois "où peut-on trouver les meilleures huîtres !?"

Je crois personnellement que c'est d'abord et avant tout une question de goût ...et cela ne se discute pas !

En fait, il y a de très bonnes huîtres un peu partout tout le long des côtes.

Le tout est de savoir à qui on a affaire !

Toutefois, le terroir sur lequel est affinée une huître donnera à celle-ci sa spécificité ... Parfois très différente d'une région à l'autre et même d’une petite zone à une autre.

Ainsi, à Marennes, le substrat vaseux (qui vient d’une glaise bleu-grise très riche pour le développement d’organismes aquatiques diversifiés) que l'on trouve à certains endroits (comme à Badauge (4) où notre ferme est située), donne une saveur très spéciale qui est reconnue par beaucoup d'anciens ostréiculteurs, des gastronomes et quelques chefs en quête de sensations organoleptiques uniques !

    En espérant avoir éclairé votre lanterne ... Dans un domaine de spécialisation qui n’est pas toujours évident !
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(1)   Long manche en bois muni d’une planchette en son extrémité servant à récupérer le sel dans le fond des salines

(2)   Vient du verbe "grâler" = être soumis à l'action du soleil, se deshydrater

(3)   Il s’agit d’un indice de montée de l’eau des marées. Dans la région du Mont Saint Michel, il peut atteindre 14,5 mètres (différence entre le niveau de l’eau à marée basse et celui à marée haute). Mais en Charente Maritime, cela atteint rarement les 6 mètres.

(4)   Badauge est une petite partie de la commune de Marennes située entre la rivière Seudre, la route côtière (D728E), la ville de Marennes et la rive droite du canal de Marennes menant à la Cayenne. Ce terroir est reconnu par les anciens ostréiculteurs comme étant un lieu unique pour obtenir un bel affinage d’huîtres sur le long terme.

 

1 commentaire

#1  - Carole a dit :

Passionnant votre article... je vais me coucher un peu moins bête... cet article m’a éclairé pour la lecture du roman de Evelyne Néron Morgan ( femme de coquilles) ... fort intéressant ... belle journée. Carole

Quelle est le dernier caractère du mot yn7hma ?

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