L’anguille (2)

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Cycle de vie

Comment se reproduit-elle ?

     De 1910 à 1920, le biologiste et océanographe danois Johannes Schmidt découvre quelques très petites leptocéphales (larves d’anguille) dans la mer des Sargasses. La publication de cette découverte est faite en 1923 et fait sensation parce que très difficilement observable.

     Bien qu'acceptée par toute la communauté scientifique, il ne s'agit pourtant encore aujourd'hui que d'une hypothèse ...toutefois hautement probable : ni l’anguille adulte gravide, ni leurs œufs n'ont à ce jour été capturés dans cette mer se situant à l’est des Bermudes et de Cuba. Par ailleurs, si la ponte et la fécondation des œufs ont pu déjà être provoquées artificiellement en laboratoire, les larves qui en sont issus ne survivent que quelques jours.

     Il aura fallu attendre plus d’une centaine d’années pour enfin démontrer une possible migration des mystérieuses anguilles américaines (recherche canadienne, 2015), puis des anguilles européennes (coopération entre le Royaume-Uni, le Danemark, l’Islande, les Açores/Portugal et la Suède, 2022).

     En ce qui concerne nos anguilles, cela s’est fait, dans un premier temps, grâce aux satellites et un marquage électroniques de 700 individus adultes (Anguilla anguilla) prêts à migrer en provenant des mers Baltique, Celtique et Méditerranée. 200 de ces balises ont pu être récupérées et la route migratoire a donc pu être reconstituée pour 80 anguilles. Toutes passent par les Açores. Toutefois, leur trace est perdue pour les milliers de kilomètres restant supposés encore à parcourir.

     Ensuite, au début de 2022, on a attaché des mini-sondes satellitaires à 26 anguilles dans l’archipel des Açores. Les paramètres suivants ont donc pu être enregistrés  : les mécanismes de migration, les routes prises, le temps mis pour faire le trajet, la vitesse de déplacement, ainsi que la localisation de l’emplacement supposé de reproduction. Les enregistrements ont tous eu lieu entre le 40è jour et une année complète. On a ainsi constaté que les anguilles se déplaçaient à une vitesse de croisière entre 3-12 Km/jour. 22 anguilles marquées ont communiqué avec le satellite (via le système ARGOS → www.argos-system.org). Deux d’entre elles ont disparu, probablement dû au détachement de la sonde ou un possible prédateur. Finalement, 5 d’entre elles ont effectivement abouti sur une zone supposée être de reproduction dans la mer des Sargasses. Mais alors toutes les transmissions ont disparues ...pour des causes inconnues peut-être liées au lieu exact de reproduction (profondeur, pression, barrière rocheuse ou d’autres obstacles, inclus une possible mortalité de géniteurs pouvant disparaître dans les profondeurs de l’océan. En effet, cette zone proche de l'origine du Gulf Stream se caractérise par une fosse abyssale de 2 000 à 6 000 m où les eaux ont une température et une salinité particulières (non déterminées) jusqu'à 1 000 m de profondeur.

     Notons que le professeur de bio-ressources Tsukamoto Katsumi1 de l’Université privée de Nihon (à Chyioda, Tokyo au Japon) a aussi fait tout récemment le même constat avec l’anguille japonaise. Après 40 ans de recherche, il a pu affirmer que l’anguille japonaise se reproduisait bien dans les régions tempérées du Pacifique nord, à l’ouest de la fosse des Mariannes2, peu éloignées de l’île de Guam. Puis, elle colonise le Japon et la Chine. Très semblable à l'anguille européenne, elle fait depuis longtemps l'objet d'un élevage intensif au Japon.

     Des facteurs trouvés dans ce type de milieu proche des grandes crevasses abyssales paraissent être indispensables pour la reproduction (gestation & pontes) des anguilles (température : min. 17°C ; pression : > 40 fois supérieure à celle de l'atmosphère ; profondeur : ±700 m ; alimentation probablement particulière).

     Ce qui doit également nous interpeller sont les observations (derniers rapports d’évaluation) faites par l’IUCN3 et l’ICES4 qui constatent que l’anguille européenne est critiquement en danger, car elle a souffert depuis 1980 d’un déclin drastique (95 %) dans le recrutement5 de ces poissons sur nos côtes. On attribue cette disparition en partie à des facteurs liés à de nombreuses contraintes6 qui s’exercent sur certaines phases délicates de leur cycle de vie, notamment liées à leur migration.

     L'anguille est un poisson qui peut effectivement migrer sur de très grandes distances ...ce qui a déjà été vérifié dans d’autres mers et océans du globe. Après leurs stades larvaires (leptocéphales, civelles), l’adulte passe une partie de sa vie dans les eaux douces des rivières ou reste en eaux saumâtres dans les estuaires. Mais elle doit impérativement gagner la pleine mer pour frayer (se reproduire). Comme chez la plupart des poissons osseux, la fécondation est externe. Une femelle peut produire au-delà du million d’œufs (on le sait déjà par la fécondation artificielle en laboratoire).

Cycle supposé pour l’anguille européenne.

     Voici le schéma qui a toujours été accepté alors qu’on n’en connaît pas encore toutes les phases (façon de se déplacer7, emplacement précis, profondeur à laquelle la fécondation a lieu, paramètres précis ou l’ordre des tolérances pour la salinité, la température, la pression, la luminosité/obscurité, l’alimentation spécifique, etc.). Comme les saumons, après les pontes, la femelle ne meure-t’elle pas ...d’épuisement ? On suppose encore bien des choses en eaux marines concernant la maturation des ovaires, la ponte des œufs, l’apparition des premiers leptocéphales8 et la transformation en civelles9 ...de forme si différente. Par contre, on connaît beaucoup mieux les adultes se trouvant dans nos eaux continentales.

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Oeuf d'anguille japonaise sauvage prélevée dans le Pacifique à l’ouest des Mariannes.

(Crédit de la photo au Professeur Tsukamoto)

     Néanmoins, un fait est certain : l’anguille s’engraisse goulûment pendant une longue période avant d’être capable de pouvoir se conditionner pour la reproduction. Donc, adulte, avant l'avalaison (le retour aux estuaires et à l’ocean au printemps), l'anguille jaune adulte accumule des réserves graisseuses. L'anguille se modifie. Sa peau s'épaissit et change de couleur : un pigment brillant, la guanine, masque partiellement son pigment jaune qui ne disparaît pas et donne un aspect argenté à son ventre et un ton brun foncé à son dos. Simultanément, son œil quadruple de volume, ce qui lui confère une meilleure vision et ses nageoires pectorales s'allongent, devenant plus pointues et mieux adaptées à la nage pélagique en grandes profondeurs.

     Cependant, on aurait déjà trouvé de jeunes femelles avec des restes de gestation avec des restes d’œufs (non viables) dans les vases côtières charentaises et Vendéennes. Entre 2006 et 2007, de nombreuses dissections ont été réalisées par feu le vétérinaire Rolland Bellet (voir références). De telles constations imposent la proximité d’un lieu de fraies et de pontes …et non à des milliers de kilomètres de nos côtes ! Sans aucun doute, plus de recherche est nécessaire afin de confirmer ces allégations, car notre côte Atlantique renferme encore bien des niches secrètes et de mystérieux trésors cachés pouvant peut-être convenir à des biotopes particuliers qui seraient favorables à la reproduction de quelques espèces aquatiques encore mal connues.

     Comme dit antérieurement, l’anguille américaine chercherait également à se reproduire dans la mer des Sargasses ...en présence de conditions très particulières ...aujourd’hui toutes aussi inconnues.

     Schmidt, l’observateur unique sur lequel tant de suppositions se basent (depuis si longtemps), n’aurait-il pas plutôt vu une autre espèce d’anguille, de plus petite taille, pouvant provenir de Cuba (beaucoup plus proche) par le truchement d’une occasionnelle grosse perturbation climatique qui aurait pu pousser ces années là les femelles dans la mer des Sargasses !?

     Le mystère reste encore entier concernant la reproduction proprement dite de ce poisson allongé, différents de bien d’autres.

     Dans la continuation de la même supposition, les larves d’anguilles (leptocéphales) sont ensuite emportées par le courant du Gulf Stream lui-même et traverseraient l’océan Atlantique en direction des côtes européennes. Arrivées à destination, ces larves au stade de civelles (pibales) progressent alors près de la surface, portées par le flot de la marée montante. À marée descendante, elles rejoignent le fond pour ne pas se faire entraîner en aval. Certaines restent le long des côtes, dans les estuaires et s’introduisent dans les marais côtiers où elles deviendront des anguilles. Toutefois, la plupart remontent les fleuves et rivières en eau douce en été et surtout automne. Elle deviennent des anguillettes, puis de anguilles adultes.

Leptocéphale d’anguille japonaise (larve foliacée)

(Crédit de la photo au Professeur Tsukamoto)

Alevins (civelles) d’anguille appelée shirasu unagi

(Crédit de la photo au Professeur Tsukamoto)

     Malheureusement, les jeunes civelles, ou pibales, sont capturées dans pratiquement tous les estuaires de la côte atlantique, depuis le Royaune-Uni jusqu'au Maroc.

     L'anguille aime les eaux stagnantes, saumâtres ou douces, de faible profondeur, où elle s'enfouit dans les fonds vaseux. Mais la pollution des eaux peut, comme les saumons et les truites, leurs être fatales.

     D’autre part, jamais personne n’a réussi au jour d’aujourd’hui à reproduire, au laboratoire scientifique ou à l’écloserie, des juvéniles « viables », en quantité suffisante, pour s’engager dans un grossissement à grande échelle. Car la clé du problème est d’être avant tout rentable, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir retrouver les coûts d’investisement. Au Japon où l’on s’est toujours intéressé à l’anguille (Anguilla japonicus), on est cependant parvenu tout récemment10 à obtenir des résultats encourageants, notamment en influençant les organes aux processus de la reproduction. Des efforts sont aussi en progrès concernant la survivance des larves au passage de chaque stade pour l’obtention de juvéniles viables.

L’anguille japonaise

     L’anguille à peau marbrée (Anguilla marmorata) se reproduit dans l’océan Pacifique, à l'ouest de la Nouvelle-Guinée, mais de nombreux courants dispersent ses larves (leptocéphales), d'où sa vaste répartition depuis l'Est africain jusqu'au Japon.

     On doute également que certaines anguilles africaines contournent leur continent, ou traversent l’océan Indien pour frayer à des milliers de kilomètres de chez elles. Ici aussi, beaucoup reste à apprendre, tant sur le plan de leur lieux de pontes exacts que sur leurs habitudes alimentaires pouvant favoriser la maturation des ovaires chez les femelles. Comme nous l’avons déjà mentionné, un nombre relativement important de paramètres doivent encore être clairement déterminés pour pouvoir établir une méthodologie appropriée de reproduction plus fiable pour pouvoir monter une écloserie commerciale.

     Par conséquent, les pays grands consommateurs d’anguilles (principalement le Japon) achètent toujours ce que la pêche de civelles sauvages (issues de la nature) leurs donne par les captures humaines ...souvent à des prix très élevés défiant toute concurrence.

Civelles, ou pibales, provenant de la nature.

     C’est la raison pour laquelle pareille activité s’est engagée depuis pas mal d’années dans des pêches et un trafic des plus litigieux pour répondre à la demande ...malgré toutes les mesures de préservation et les lois pour protéger les espèces. Dernièrement, je lisais encore qu’on venait d’appréhender deux sexagénaires entrain de capturer en Bretagne (il n’y a pas ...qu’à l’étranger) des dizaines de kilos de civelles et d’anguilles adultes pour les expédier dans un autre pays ...sans passer par la filière autorisée !

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1 Egalement professeur émérite de l’Université de Tokyo et président de la Société Scientifique d’Asie de l’Est pour les Anguilles (regroupant depuis 2017 des chercheurs japonais, chinois, sud-coréens et taïwanais) ; voir l’entrevue résumée en Annexe 1 dans la partie 4).

2 La fosse des Mariannes atteint, à son point le plus profond (appelé Challenger Deep), les 10 984 mètres (c’est la hauteur de l’Everest, + 2 134 mètres).

3 IUCN = International Union for Conservation of Nature.

4 ICES = International Council for the Exploration of the Sea.

5 « Recrutement » provient du terme de pêches « recruitment » en anglais et dont la signification indique le potentiel de remplacement des poissons plus âgés, disparus par mort naturelle ou prélevés par l’industrie des pêches, par les plus jeunes poissons (issus de la reproduction).

6 Généralement toutes liées à la pollution des eaux, aux pêches industrielles intensives et aux nombreux obstacles mis en travers de leurs voies de passages (comme les barrages infranchissables et l’absence de protection contre les turbines hydro-électriques immergées).

7 Des chercheurs supposent que de jour, l’anguille se déplacerait plutôt en profondeur, près des fonds marins ...afin d’échapper aux nombreux prédateurs ; de nuit, elle remonterait entre -200 mètres et la surface ...pour refaire le plein en oxygène et pouvoir s’orienter avec la lune. Beaucoup reste encore à confirmer au sujet de toutes ces habitudes que nous aideraient bien comprendre l’économie/l’épreuve migratoire. Cela permettrait de mieux saisir les forces mises en jeu afin d’être encore capable de mener à terme la maturation de ses organes sexuelles et la reproduction proprement dite.

8 Larves transparentes à tête plate ; grands yeux ; forme simillaire à une feuille de saule.

9 Stade larvaire qui suit celui du leptocéphale ; au départ, corps effilé d’abord transparent, puis qui se pigmente petit à petit pour ressembler à l’anguille adulte.

10 En utilisant le photopériodisme et l’application d’hormones spécifiques.

Quelle est le septième caractère du mot iw40ubhs ?

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